Rosie Lanoue Deslandes
Le rêve d’être une plante, un brin d’herbe, le plus petit arbre qui ne ploie, le désir d’être du vent, sur ton front et le mien, d’être l’eau sur leurs mains. Ces rêves élémentaires affluent en toi, m’écris-tu, lorsque ta tête incline vers la fenêtre, et tes sens guettent, à la fin d’une journée recluse, la venue d’un rayon prélude à ta marche quotidienne. Certains regardent fixement dans la direction de leurs pas alignés; qu’importe le chant du cardinal avec ses « huit » en infini, il faut retenir ses mots et ses gestes pour éviter les croisées, les possibles effusions.
Ma chère sœur, j’attends un regard, un long; je l’accueillerai ce regard où s’attarder, à habiter. Le monde me semble un étrange musée, encerclé de bollards, où l’on cherche plus que jamais à toucher avec les yeux ce qui nous entoure.
Viens ici, reste là, non pas par là. La course au trajet impromptu d’un enfant prend fin devant toi. Retiens ton souffle, ta voix liquide. À ton filleul, tu écris la série des questions, un jeu entre vous : Toi, y arrives-tu mon Lou? Combien de secondes sans respirer? Te souviens-tu quand tantine jouait avec toi à la maisonnette en carton? Tu pousses loin de moi, 103 centimètres vifs. Je pensais avoir atteint ma hauteur définitive, mais mon corps paraît maintenant s’allonger; un pas mal mesuré, la distance d’une enjambée agrandie et nous voilà trop près. On ne l’a pas voulu.
On ne l’a pas voulu, tout comme entre toi, mon fils et moi la distance maintenue depuis des semaines a pris la tournure d’un certain repli : un mois déjà sans parler ni écrire, pardon. J’ai gardé pour moi mes rivières, tenté d’ignorer une eau devenue stagnante, pour me maintenir à la limite : ma façon de ne pas abandonner.
Il y a des questions qu’on n’ose plus d’instinct. Des choses qu’on se murmurait presque, tu sais, de ces paroles confiées au creux du vent, parce qu’à dire vrai…
Tu vis certaines joies sans retenue. Parcourir l’île à grands coups de pédalier, recevoir la vie insulaire par bande de sons, l’arrivée des bernaches, les cris d’enfants sur l’herbe éveillée de sa dormance, la musique de cour d’un accordéon et les applaudissements depuis les balcons, à la tombée du jour revenir enfin dans l’air des lilas.
Que vois-tu la nuit quand tes yeux se referment? J’ai rêvé hier à des lombrics : je les retirais de mes poches remplies de leur mollesse. Ils s’étiraient, se tortillaient, tandis qu’à grande vitesse je les enlevais, mais il en venait toujours d’autres, la tâche était interminable. Ai-je renoncé ensuite? Je ne sais plus le raconter. Peut-être étais-je une botte de terre, un vivant compost, et ma conscience s’est alors ralentie en des messages fongiques.

Collectif Récits infectés